Si j’ai eu l’occasion d’intervenir en tant que home organiser auprès de personnes souffrant de syllogomanie, je me rends compte que peu de personnes connaissent ce mot et encore moins ce qu’il désigne. Explications…
La syllogomanie, c’est quoi ?
La syllogomanie désigne l’accumulation compulsive d’objets. En termes psychiatriques, on parle de thésaurisation pathologique. Vous connaissez certainement les TIC (Troubles Involontaires Compulsifs, entrés dans le langage commun) et les TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs). Ici, nous avons affaire à un TAC (Trouble d’Accumulation Compulsive). Ce n’est qu’en 2013 que ce trouble encore peu connu a fait son entrée dans le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders, en français manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), l’ouvrage de référence qui décrit et classifie les troubles mentaux. Entre 2 et 6 % de la population en serait atteinte, tant des hommes que des femmes.
La syllogomanie se caractérise donc par l’accumulation d’objets et la difficulté de s’en défaire, indépendamment de leur valeur. Pour une personne souffrant de ce trouble, les objets, même n’ayant aucune utilité, sont conservés car c’est une réelle souffrance de s’en défaire. Contrairement à un collectionneur qui organise les objets de sa collection, le syllogomane entasse les objets sans aucune logique, envahissant petit à petit tous les meubles de l’habitation jusqu’à ne plus pouvoir les distinguer sous le monticule formé. La circulation d’une pièce à l’autre devient difficile et les papiers s’accumulent au sol jusqu’à ne plus distinguer celui-ci.
Une fois que le trouble s’installe c’est un cercle vicieux car non seulement le syllogomane continue d’acheter toutes sortes de choses inutiles, même s’il n’est pas forcément un acheteur compulsif, mais surtout il sera contraint d’acheter en de multiples exemplaires le peu d’objets qui lui servent vraiment puisqu’il ne les retrouvera plus dans son capharnaüm.
Quand peut-on dire que l'on souffre de syllogomanie ?
Il y a quelques mois, j’ai entendu une animatrice radio parler de syllogomanie et expliquer de quoi il s’agissait. Des auditeurs réagissaient en direct via les réseaux sociaux, s’écriant : “Moi aussi j’ai du mal à jeter les objets. Je suis donc syllogomane, je ne savais pas que cela avait un nom.”
Évidemment, ce n’est pas si simple que cela car on parle bien ici d’une pathologie. Ce n’est pas parce que vous éprouvez du mal à vous séparer d’objets parce que “On ne sait jamais, ça pourra encore servir” que vous êtes syllogomane.
Mais alors, comment savoir où commence la syllogomanie ? Le seuil semblerait être le fait de ne plus pouvoir vivre normalement à cause de l’encombrement et de ne plus pouvoir utiliser les pièces à vivre (par opposition aux caves et autres zones de stockage) pour leur fonction. Par exemple, on ne pourra plus préparer des repas, utiliser l’évier, le frigo, le lavabo ou la baignoire. Il n’y aura plus de place pour s’asseoir pour manger ou se relaxer et même les lits seront encombrés en permanence. On devra se frayer un chemin parmi les objets, rendant la circulation dangereuse avec des risques de chutes pouvant être mortelles (voir à ce sujet l’histoire des frères Collyer, deux syllogomanes décédés dans leur appartement de New York en 1947, écrasés sous des piles d’objets https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A8res_Collyer).
Souvent, c’est lorsque des problèmes d’insalubrité apparaissent que la situation est découverte par le voisinage. Il est évident que l’entretien de l’habitation ne peut plus être effectué, qu’il s’agisse du simple nettoyage ou des réparations de plus grande importance, puisqu’il n’y a aucune accessibilité pour les corps de métier. Les nuisibles, insectes ou rongeurs, prennent possession des lieux.
Jugement extérieur
Le syllogomane, même s’il continue souvent à avoir une vie professionnelle et sociale qui ne laisse aucunement deviner son état aux personnes qu’il côtoie, s’isole complètement une fois chez lui. Il vit les rideaux fermés pour que l’on ne soupçonne rien de l’état intérieur de l’habitation, ne reçoit plus personne et perd petit à petit son estime de soi.
Vu de l’extérieur, la syllogomanie passe pour un bordélisme extrême. On a du mal à comprendre comment quelqu'un peut en arriver là et on ne peut s’empêcher de juger sans savoir. Or, une fois qu’on a connaissance du fait qu’il s’agit d’un trouble psychique il est plus facile, si pas de comprendre, de ne pas porter de jugement sur les personnes qui en souffrent. Personne n’aurait l’idée de disputer ou de traiter de débile un malade d’Alzheimer qui oublierait le prénom des membres de sa famille, précisément parce qu’on sait qu’il est malade. Malheureusement, beaucoup de personnes ne connaissent même pas le terme syllogomane et c’est cette ignorance qui ouvre la porte au jugement et aux remarques désobligeantes.
Troubles apparentés
Le Syndrôme de Diogène est un type de démence qui touche principalement les personnes âgées et qui n’est pas catégorisé dans le DSM. L’accumulation d’objets concerne également les ordures et le malade néglige l’hygiène corporelle et domestique de manière extrême. Il existe d’ailleurs des sociétés spécialisées dans le “nettoyage Diogène” qui interviennent quand une personne décède et qu’il faut remettre son habitation en état.
Le Syndrôme de Noé, quant à lui, est bien un TAC, mais il s’agit ici d’accumuler des animaux ! Il désigne le fait de recueillir des animaux alors que l’on ne dispose pas de la place ou des moyens pour les soigner et les nourrir correctement. Souvent même les cadavres d’animaux sont accumulés. Il s’agit clairement de maltraitance animale mais, de nouveau, ces personnes sont malades et ne reconnaissent pas leur trouble. Elles se pensent bienfaitrices et sont persuadées de bien s’occuper des animaux qu’elles recueillent.
Comment venir en aide à un syllogomane ?
La majorité des personnes estime certainement que pour aider un syllogomane, il suffit d’apporter un container et de vider la maison. Or, la souffrance provoquée par le fait de se séparer d’un objet fait que c’est justement ce qu’il ne faut pas faire. Aider un syllogomane à se désencombrer est un travail de longue haleine qui se fait pas à pas avec psychologie et bienveillance. Il est hors de question de prendre des décisions à sa place sur le fait de jeter tel ou tel objet. Il faut bien évidemment qu’il soit demandeur, ce qui est déjà un obstacle en soi car beaucoup ne reconnaissent pas que leur comportement est problématique.
Quand une aide externe est souhaitée par le patient car son entourage s’y prend mal, il ne sait généralement pas à qui s’adresser. Aucun professionnel n’est spécialisé pour aider concrètement une personne souffrant de ce trouble. Le home organiser est la personne la plus appropriée, mais la plupart n’acceptent pas d’intervenir. Personnellement ce n’est pas mon cas, mais ce n’est qu’en concertation avec le psychiatre que j’interviendrai car il est important qu’il y ait une prise en charge spécifique en parallèle, ne fût-ce que pour éviter que le comportement ne revienne après avoir désencombré. Le suivi peut se faire en présentiel ou en mêlant le présentiel et le suivi à distance avec des missions à réaliser par le malade entre les séances à deux.
En Belgique il n’y a pas, à ma connaissance, de structure spécialisée pour venir en aide aux personnes atteintes de syllogomanie. Dans d’autres pays, comme au Canada, des “comités TAC” se sont mis en place en 2018 pour sensibiliser la population et coordonner l’aide aux malades.
Voici d’ailleurs un court reportage de Radio Canada avec une visite chez une accumulatrice compulsive :
Espérons qu'à l'avenir des initiatives comme celle prise au Canada fleurissent chez nous.
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